Coup de cœur

Dans ce roman et avec le talent qu’on lui connaît, Toni Morrison explore une nouvelle fois le thème du racisme et de l’exclusion. Elle se situe au cœur de l’Amérique contemporaine et choisit de décrire le parcours de Lulu Ann, «noire comme la nuit et le Soudan», et celui de Booker son petit ami. Aucun des deux ne s’est jamais remis de son enfance meurtrie. L’auteur raconte comment les blessures intimes de la jeune femme vont entrer en résonance avec les blessures intimes de son amoureux et aussi avec le climat de tension raciale de l’époque. Rongés par des secrets et traumatisés par leurs drames familiaux, les deux jeunes gens sont prêts à tout pour s’en «délivrer». On suit avec beaucoup d’émotion les brimades endurées au quotidien et les épreuves à traverser, jusqu’au processus de résilience qui va enfin leur permettre de rompre le silence et les mensonges qui les ont séparés. Toni Morrison déploie les thèmes qui lui sont chers, la famille, la pédophilie, les non-dits, la culpabilité, la honte, la violence mais aussi la rédemption. La romancière est pleine d’empathie pour ses personnages et elle les dépeint avec beaucoup de tendresse. Les personnages secondaires sont tout aussi intéressants. L’écriture est précise, crue mais poétique. Le style est percutant, on est frappé en plein cœur par un texte qui garde tout son souffle jusqu’aux dernières pages. Le propos est grave mais la fin du livre est porteuse d’espoir. Un récit dense et profond qui ne laisse pas indifférent et qui en dit long sur le racisme ordinaire. (A.P.)