L' enseignement en détresse Jacqueline de Romilly
Résumé
Lenseignement est malade en France. Très malade même, aux dires de lauteur. Cest un constat. Et il nest pas nouveau. La nouveauté, il faut peut-être la chercher dans la perspective du sujet. Elle est bien celle dun professeur de haut parage, féru de grec ancien, premier de son sexe à enseigner dans le sanctuaire du Collège de France, et ayant fait de lEnseignement sa vie. En réalité, celle-ci et celui-là ont des liens si inextricables quen faisant le triste bilan de la dégradation de lEcole française, Jacqueline de Romilly fait, ipso facto, le bilan de sa carrière professorale maintenant à son terme. Doù peut-être la présentation vivante dune matière dordinaire si aride. Pourtant, le sujet est explosif à souhait. Et lauteur qui sait où elle met les pieds, revendique, demblée, sa pleine responsabilité. Pas question de reculer devant les nuages qui samassent à lhorizon accoucheur de tollé ! « On arrive à un moment où il devient impérieux de pouvoir exprimer ce que lon pense sans en faire retomber la responsabilité sur autrui » Et puis cet aveu qui révèle lurgence du témoignage : « ... Je nai plus aujourdhui le choix quentre le désespoir et la protestation ouverte... » On peut la croire. Pas un mot de ce professeur impliqué depuis un demi siècle dans le progrès de lEnseignement français, ne semble avoir été lâché au hasard. Lenjeu est trop important ! Il sest agi de secouer la léthargie dun moribond dont le coma paraît dautant plus irréversible quil est formenté. Après lénoncé des intentions, il faut maintenant nommer les tenants et les aboutissants. Encore une fois de quoi sagit-il ? * Il y a quen France le marasme a gagné les rouages essentiels des institutions pédagogiques. * Il y a que le « feu sacré » qui animait les générations héroïques a peu à peu déserté les classes provoquant une formidable montée de lignorance, * Il y a que la baisse du niveau de culture générale hypothèque lourdement la qualification du corps enseignant. * Il y a enfin que lingérence politique a créé de faux alibis aux médiocres et imposé des méthodes pédagogiques qui ne font que rajouter à un imbroglio déjà ancien. Heureuse France où le grand nombre ne croit plus « quun français correct vaut mieux quun français incorrect, ni que lorthographe ait un sens, ni que Platon ou bien Descartes puissent être utiles â connaître ». Les conséquences de ce dédain du savoir crèvent les yeux lorsquun candidat aux lettres supérieures écrit sereinement dans sa copie dexamen : « Le décor Régence prouve tout de suite que laction se passe au Moyen Age ». Mais le pire, cest quun professeur puisse demander à ses élèves ce quest un crucifix et que ceux-ci lui ayant répondu : « une sorte de tourne-vis », il y ajoute foi. Cependant parier de la baisse du niveau général de lenseignement français na aucun sens si, dans la recherche des causes, on ne fait pas le procès de la baisse de qualification des professeurs. On en est à fouler aux pieds cette vérite première quon enseigne bien que ce que lon connaît bien. Imagine-t-on une classe de latin confiée à des professeurs qui ignorent le latin ? Ne sachant rien du latin ! Stricto sensu. Problème de méthode et de programme dira-t-on. Sans aucun doute.. Faut-il rappeler quun éminent professeur avoue ne guère se retrouver dans la terminologie des nouveaux manuels ? Voilà : un égalitarisme borné a faussé le statut des enseignants, en abolissant la sélection automatique, partant le bénéfice de lémulation. Motif : la politisation excessive des structures de lEnseignement. Bien sûr, au mépris des canons qui ont donné ses lettres de noblesse à lEcole française. Sans rime ni raison, on a substitué légalité DANS lenseignement à légalité DEVANT lenseignement, mis légalité arithmétique à la place de légalité géométrique prônée par Platon dans sa « République » et ses « Lois ». Ainsi parlant des conditions dentrée à la prestigieuse ENA, Jacqueline de Romilly note la présence de « candidats sélectionnés sur dossiers en jonction du dévouement dont ils ont fait preuve dans leurs activités syndicales, associatives et politiques... » Et le sont « six membres de la C.G.T. et de la « C.F.D.T. » Précisons : sur 1O nouvelles recrues admises par voix de concours. Cette France-là vit, il faut le dire, à lheure du socialisme. Et le souci évident des débouchés immédiats peut-il justifier les raccourcis offerts à maintes catégéries professionnelles. Jacqueline de Romilly reconnaît elle-même que malgré sa formation de littéraire, elle noserait « conseiller à un jeune de passer un autre baccalauréat que le C ». Cette prépondérance accordée par le grand nombre aux Sciences exactes, si elle peut-être comprise, ne devrait se faire au détriment des Sciences humaines. En tout cas le transfert massif de bonus en direction des Sciences exactes, à cycle plus court, ne devrait pas concerner ceux qui sont chargés de transmettre le Savoir, faisant fi de leur qualification supérieure. Après tout, la haute maîtrise est redevable à la culture approfondie. Quon laisse au moins goûter aux lettres ceux qui croient encore à la noblesse de lesprit ! Il reste que le primat que lauteur semble conférer aux études littéraires ne doit pas nous masquer que son propos touche au domaine beaucoup plus vaste de la culture générale, et à la méthodologie dun Enseignement performant. Il sagit dassurer la permanence des hautes valeurs morales et intellectuelles de la société française. Les résistances, certes, se situent à tous les niveaux. Et le mal est endémique et recrudescent. Le gouvernement tend, en effet, à instituer le mal. On ne peut, là-dessus, ne pas être daccord avec Jacqueline de Romilly. Alors que fait le gouvernement ? « Il crée partout des concours parallèles, qui donneront les mêmes droits mais ne correspondront plus à la même formation, qui tiendront compte de la pédagogie et nexigeront plus la préparation aussi approfondie dun programme... » Que dire encore. Devant ces roulements de tonnerre qui annoncent la fin dune longue tradition de progrès dont sest nourrie la France du Siècle des Lumières, on est comme frappé de stupeur. Ainsi non seulement on ne croît plus à la culture en France, mais, pis encore, on semble refuser à ceux qui en veulent les conditions de son acquisition. Heureusement que tout processus négatif petit-être freiné. Et parfois inversé. Le message que voilà peut donc susciter, en dépit de son pessimisme tacite, des lendemains meilleurs. Car lespoir demeure que lalternance du pouvoir, en plébiscitant des hommes neufs, apporte des perspectives nouvelles quant aux orientations de lEcole française. Pour reprendre la métaphore qui ferma ce livre de foi, souhaitons, avec Jacqueline de Romilly que si lenseignement a perdu une bataille, il nait pas perdu la guerre. Dono Ly SANGARE
- Auteur :
- Romilly, Jacqueline de (1913-2010)
- Éditeur :
- Paris, Julliard, 1984
- Genre :
- Essai
- Langue :
- français.
- Pays :
- France.
- Note :
- Index
- Mots-clés :
- Description du livre original :
- 218 p. ; 23 cm
- ISBN :
- 2260003613.
- Domaine public :
- Non
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