Coup de cœur

Gaies ou tristes, « Les lettres de mon moulin » nous font parcourir toute la Provence, de la Camargue aux îles de la Méditerranée, et toutes les gammes d’émotion, des plus mélancoliques aux plus guillerettes. C’est la tendresse qu’éveille « La chèvre de monsieur Seguin », si jolie et si crâne avec son pelage blanc – « un amour de petite chèvre »... Une pointe d’humour perce dans « Les trois messes basses », où la gourmandise perd les paroissiens venus écouter la messe de Noël, ainsi que les officiants pressés de se régaler. En contrepoint, Daudet révèle un brin de férocité dans « Le portefeuille de Bixiou », à l’intention de la vie parisienne. Récits de vie quotidienne, d’anecdotes passées et de légendes locales, « Les lettres de mon moulin » déploient beaucoup de réalisme et de couleur locale, ponctués de quelques envolées fantastiques, comme la bien triste « Légende de l’homme à la cervelle d’or ». On y croise notables et gens du petits peuple, bergers, prêtres et meuniers, mais aussi l’occasionnelle célébrité, telle le poète Frédéric Mistral, qui a ressuscité la langue occitane. L’amour de l’auteur pour les paysages et surtout pour les gens, pécheurs jamais irrémédiablement perdus et presque toujours aimables en leurs travers, se perçoit à chaque tour de page. Avec ces missives, Alphonse Daudet envoie un beau bouquet bien feuillu d’herbes de Provence, piquant et parfumé, à ses amis parisiens, pour qu’il dissipe de ses effluves les miasmes de la vie citadine.